Éditorial de la lettre de l’Institut de recherches de la FSU du 10 septembre 2024
Paul Devin, président de l’IR.FSU
La massification de l’enseignement secondaire, même si nous savons qu’elle est loin d’avoir atteint ses promesses égalitaires, avait fini par nous laisser penser à une irréversible tendance historique qui ne cesserait, tant bien que mal, de favoriser l’accès à des études longues. Une telle vision comportait sans doute sa part de naïveté mais force est de constater que, tout au long du XXe siècle, de plus en plus d’enfants des classes populaires avaient allongé leur temps d’études.
Le « choc des savoirs » vient de sonner le glas de cette évolution.
Pour la première fois dans l’histoire de notre école, le brevet des collèges vient d’être doté d’une fonction d’examen d’entrée au lycée. On a beau tenter de nous rassurer avec les vertus des « prépa-secondes » dont on vante qu’elles sont destinées « à ne laisser personne au bord du chemin », nous savons déjà qu’une telle mesure réduira l’accès aux classes de lycées généraux et technologiques et augmentera la part de la population scolaire qui en sera exclue.
Quant aux « classes de niveaux », qu’une volonté de relativisation rassurante insiste à nommer « groupes de besoins », comment pourraient-ils garantir la réussite de l’élève ? Même si on oublie nos doutes sur les vertus pédagogiques de l’homogénéité pour engager le progrès de l’élève, on peine à croire qu’elles ne se pérenniseront pas et ne constitueront donc pas le vivier d’une orientation précoce. Car nous savons qu’un trimestre, si efficaces soient les aides pédagogiques et didactiques mises en œuvre, ne suffira pas à vaincre les écarts existants et que la seule solution reste le traitement de ces difficultés dans la classe hétérogène, ce qui nécessite une baisse de la taille des classes.
Le premier ministre récemment nommé affirmait en 2022 sa volonté de permettre l’apprentissage dès 14 ans… Souvenons-nous qu’au temps de ces orientations précoces, des filières spécifiques venaient les alimenter (classes pratiques puis CPA et CPPN). Nous pouvons donc engager le triste pari que les « groupes de besoins » constituent la phase première d’un retour vers une filière courte.
Le « choc des savoirs » s’inscrit dans les perspectives communes à la droite réactionnaire et à l’extrême-droite qui veulent en finir avec le collège unique. On peut craindre qu’en devenant, par volonté du premier ministre, la première cause nationale, l’éducation ne gagne ni moyens humains et matériels, ni ambition démocratique… mais seulement une régression, jusque-là inconnue dans les politiques éducatives depuis la IIIe République, qui conduirait à vouloir réduire le nombre d’élèves accédant à des études longues.
Plus que jamais l’Éducation nationale risque de s’éloigner d’une finalité d’élévation générale du niveau de connaissances qui affirmait la capacité de toutes et tous à progresser dans ses apprentissages. Le retour des vieux préjugés assignant la possibilité d’études longues à une prédisposition naturelle de l’individu, les obsessions de l’austérité budgétaire et la pression du patronat pour mieux profiter de la précarité de l’emploi viendront sans aucun doute conforter ces perspectives au mépris des élèves et de leur droit égalitaire à l’éducation.