Éditorial de la lettre de l’Institut de recherches de la FSU du 4 avril 2023
Paul Devin, président de l’IR.FSU
Le ministre de l’Intérieur, Gérard Darmanin, assène depuis longtemps, comme une incontournable vérité, qu’il ne peut y avoir de violences policières puisque l’État dispose d’un exercice légitime de la violence quand il s’agit de protéger les biens et les personnes. Et de l’affirmer comme une évidence de la culture politique en disant : « C’est vieux comme Max Weber ! ».
Catherine Colliot-Thélène, philosophe spécialiste de Weber, avait longuement expliqué en 2003[1] qu’une telle lecture n’était pas fondée. La formule wébérienne, « l’État possède le monopole de la violence légitime », n’est pas l’affirmation d’une nécessité essentielle de l’État mais le constat d’une réalité historique. Weber n’a jamais considéré que la violence de l’État était légitime par nature mais a seulement fait le constat de son existence. Et Catherine Colliot-Thélène de s’offusquer[2] qu’un ministre puisse en « appeler à l’autorité de la science, en l’occurrence celle d’un grand nom de la sociologie, pour cautionner les vilenies de la République ».
Nous ne sommes pas dupes : cette soi-disant théorisation de la violence légitime n’a d’autre enjeu que « la justification des violences commises ces dernières années par les forces de l’ordre lors de manifestations[3] ». Que l’existence de la loi ne puisse suffire à garantir les droits citoyens et que le recours à la contrainte puisse être nécessaire n’excluent pas que cette contrainte doive puiser sa légitimité dans l’examen exigeant de ses finalités. Un tel examen ne peut procéder du seul jugement du gouvernement mais doit accepter celui des citoyennes et citoyens.
D’aucuns ne manqueront pas de nous opposer les violences exercées en marge des manifestations. Les organisations syndicales les connaissent bien puisqu’elles en sont les témoins et les victimes. Elles les ont toujours condamnées et continueront à le faire. Elles ont fait la preuve, encore une fois, depuis janvier dernier, de leur volonté à construire des rapports de force sur l’action, la grève, les manifestations et les mobilisations.
L’existence de ces violences ne peut aucunement justifier une réduction ou une répression du droit d’expression. C’est ce qu’a littéralement dit Dunja Mijatović, la commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe: « Les actes de violence sporadiques […] commis au cours d’une manifestation ne sauraient justifier l’usage excessif de la force par les agents de l’État. Ces actes ne suffisent pas non plus à priver les manifestants pacifiques de la jouissance du droit à la liberté de réunion »
Ce n’est pas par effet collatéral de la lutte contre ces violences que nos droits se voient restreints mais par une volonté politique déterminée qui fait feu de tout bois : le mensonge délibéré du ministre de l’Intérieur qui affirme le caractère délictueux de la participation à une manifestation non déclarée ; l’usage abusif de gazages, de nasses, d’arrestations et de gardes à vue arbitraires guidé par une volonté de dissuader la population de participer aux manifestations et, à Sainte-Soline, le risque délibéré d’agir au mépris des vies humaines. C’est que le marché néolibéral a besoin d’un État coercitif pour protéger ses intérêts face aux demandes populaires de justice sociale[4].
Les larges mobilisations de ces derniers mois nous auront rappelé qu’il ne suffit pas d’une forte abstention électorale pour conclure à l’apathie politique et au renoncement. C’est pourquoi, face au mépris pour les organisations syndicales, face au choix politique de se passer du vote parlementaire, face à une stratégie de réduction des droits d’expression, nous devons maintenir avec détermination notre opposition aux politiques d’injustice et d’inégalité que le gouvernement veut nous imposer.
[1] COLLIOT-THÉLÈNE Catherine, La fin du monopole de la violence légitime ?, Revue d’études comparatives Est-Ouest, vol. 34, 2003, n°1, p.5-31
[2] Le Monde, Tribune, 19 février 2020
[3] COLLIOT-THÉLÉNE Catherine, Violence policière, violence d’État, Savoir/Agir, 2021-1, n° 55, p. 33-39
[4] GUÉGUEN Haud, SAUVÊTRE Pierre, DARDOT Pierre et LAVAL Christian, Le choix de la guerre civile : une autre histoire du néolibéralisme, 2021