Éditorial de la lettre de l’Institut de recherches de la FSU du 22 octobre 2025
Paul Devin, président de l’IR.FSU

À propos de l’EVARS : nouvelles formes d’attaques réactionnaires sur l’éducation

C’est une convergence de faits qui nous alerte d’une nouvelle stratégie d’entrisme réactionnaire sur l’éducation. A les observer isolément, on pourrait les croire limités à des conflits locaux qui, s’ils sont éprouvants pour les enseignants, restent incapables d’influer véritablement le cours des choses.
Et pourtant, …

Nous assistons à une évolution stratégique…
Dans un premier temps, les attaques avaient visé à faire pression sur le gouvernement pour qu’il renonce à l’EVARS, y compris par des actions parentales faites localement sur les enseignants. Des associations clairement réactionnaires étaient à l’œuvre, sans masquer leur volonté d’agir « pour promouvoir la famille traditionnelle et nombreuse— composée d’un père, d’une mère et de leurs enfants — en tant que socle essentiel de cohésion, de transmission et de dynamisme dans notre société[1] ». Sept d’entre elles[2] avaient fait un recours auprès du Conseil d’État pour demander l’annulation d’EVARS, recours rejeté[3]. Plusieurs continuent à agir pour obtenir la suppression de l’EVARS en prônant la pression directe sur les enseignants (Parents vigilants, Parents en colère, … ) ou par lobbying politique et médiatique (SOS Éducation, Mamans Louves, Syndicat de la Famille, …)
Mais aujourd’hui, de nouvelles stratégies d’influence réactionnaire se développent qui ne tentent plus de faire condamner le principe d’un EVARS mais cherchent à en influencer les contenus. Par exemple, celles de la société Lift[4] dont les fondateurs appartiennent à des réseaux clairement marqués par une idéologie ultra-conservatrice. Mais Lift n’est pas seule à offrir ses services. Sur les rangs, des associations catholiques déjà anciennes qui cherchent, au travers de l’EVARS, un nouveau champ d’influence (Cler, AFC[6], …) ou des associations plus récentes (ARPE, CycloShow-XY France, Com’ je t’aime ).
Ces organisations proposent des interventions en milieu scolaire auprès des élèves et des formations pour les enseignant·es ou offrent leurs services aux parents pour les aider à exiger des contenus conformes à leur idéologie.
Sans doute, leur marché essentiel sera l’enseignement privé catholique dont le secrétaire général a rappelé qu’il développerait une version spécifique de l’EVARS pour « ne pas céder pas à la tentation de vouloir tout rendre conforme[7] ». La brochure[8] diffusée dans ce but, si elle rappelle le cadre réglementaires des EVARS et annonce agir dans le cadre de la liberté de conscience et de la laïcité, n’en insiste pas moins sur la nécessité de s’appuyer sur les enseignements de l’Église.
Au-delà, on peut craindre que, par le biais de financements régionaux ou départementaux, les interventions de ces associations soient proposées à l’école publique sous des formes qui ne permettront pas immédiatement aux enseignants d’en identifier la nature réactionnaire. D’ailleurs, les offres faites par les associations ou entreprises ne spécifient jamais n’être destinées qu’au seul enseignement privé ! Lift annonce haut et fort avoir travaillé ses contenus avec le réseau Canopé[9] et des formulations des plus ambigües mettent en avant des collaborations avec des chercheurs (universités, INSERM, …)

… et à une évolution globale de l’idéologie éducative : « l’éducation intégrale »
A ces évolutions de stratégie, se mêle la construction d’un fondement idéologique commun à tous les défenseurs d’une liberté absolue de l’enseignement, celui de « l’éducation intégrale[10] ». Le concept n’est pas nouveau mais il connaît aujourd’hui un renouveau. Son essence est d’affirmer l’impossibilité de séparer la formation spirituelle de l’individu du reste de sa formation. Elle est affichée comme principe central d’action de nombreuses organisations qui se proposent pour accompagner le développement des projets pédagogiques d’écoles privées et assurer la formation de leurs enseignants. Elle transparaît dans les récentes prises de position du nouveau secrétaire général de l’enseignement catholique, qui affirme la légitimité d’une pratique cultuelle, telle la prière, au sein des enseignements scolaires. En s’affranchissant ainsi des principes définis par la loi Debré[11], il appelle ouvertement à des évolutions que l’enseignement sous contrat n’agissait jusque-là que par de discrets contournements. Et nous pouvons être d’autant plus inquiets que le ministère s’est abstenu de toute réaction qui aurait rappelé les exigences de la loi Debré à l’enseignement privé sous contrat .

Se mobiliser pour la laïcité
La difficulté d’identification de ces volontés d’entrisme est renforcée par l’intrication des réseaux de la galaxie réactionnaire où se mêlent les partis politiques de l’extrême-droite et d’une partie de la droite, des associations parentales, des associations de l’enseignement privé, des associations professionnelles, des médias de l’empire Bolloré et des fondations largement financées par le patronat dont Stérin est la partie la plus visible parce que publiquement annoncée comme telle. L’offensive idéologique est massive.

Face à ces menaces qui mettent en péril les finalités démocratiques et émancipatrices de l’école, les organisations syndicales enseignantes doivent persévérer dans leur travail d’alerte et de soutien des personnels de l’Éducation nationale mais c’est à l’échelle de la nation entière que doit être manifestée notre indéfectible attachement à une éducation laïque capable de mettre les enfants à l’abri de toute tentative visant leur endoctrinement et où la privation de leur droit à la liberté de conscience.

[1] Statuts de l’association « Famille et Liberté »
[2] Juristes pour l’Enfance, SOS Éducation, Le Syndicat de la Famille, les Mamans Louves, Au Cœur de l’humain, Enfance et Compagnie, Famille et Liberté, 300 parents
[3] Conseil d’État, décision n° 501820, 27 juin 2025
[4], Médiapart, 3 octobre 2025
[6] Confédération Nationale des Associations Familiales Catholiques
[7] 20 Minutes, 4/09/2025
[8] Comment grandir heureux ?, SGEC, juillet 2025
[9] Opérateur public de formation des enseignant·es de l’Éducation nationale
[10] Fondé sur « l’Humanisme intégral » de Jacques Maritain (1936) puis soutenu par le concile Vatican II (1962), cette « éducation intégrale » ne doit évidemment pas être confondue avec  les principes et méthodes défendus par le pédagogue libertaire Paul Robin en 1900
[11] La loi Debré exige, au nom du « respect total de la liberté de conscience », la séparation des enseignements scolaires et religieux. Elle s’inscrivait dans les principes légaux de non-subventionnement des cultes de la loi de 1905.